Souvenirs (fin) LES MALIENS
Lorsque je quitte la Martinique en ce jeudi de décembre il fait 32°, j’arriverai le lendemain à Orly où il fait 0° et le lundi je rejoindrai le tunnel des Hurtières en Savoie qui vient de « débourrer » (heureusement sans victime) il fait à mon arrivée moins 12°…
Aujourd’hui allez savoir pourquoi je rigole quand je vois cette brave Catherine Laborde, l’air sincèrement catastrophée, nous donner les procédures à suivre pour survivre durant quatre jours à une température « apocalyptique » qui est passée brutalement de 28 à 36°!
Je passe quelques temps tranquille en chantier sur Rhône-Alpes, puis une nouvelle fusion d’entreprises survient. La direction d’agence change, mes anciens chefs sont dispatchés avec des « promotions » souvent dégradantes et me voici en totale incompatibilité d’humeur avec la nouvelle Kommandantur. Je reconnais sans peine que si j’ai toujours fait mon job avec la meilleure conscience professionnelle, je n’ai jamais fais le moindre effort pour paraitre agréable aux dirigeants fraîchement parachutés sur « mes » terres.
Malgré cette mésentente irréversible et le fait que mon retour à l’entreprise me classe dans les « derniers embauchés », de manière totalement irrationnelle, je ne ferais pas partie des deux ou trois « charrettes » de licenciements. Par contre, orphelin d’agence, je passe allègrement de Marseille à Fessenheim et de Zurich à Monaco.
Je retrouve dans cette errance nombre de vieux copains. Je m’organise pour passer pratiquement tous les week- end à la maison, de temps en temps lorsque l’endroit est agréable Framboise me rejoint quelques jours. Je me trouve de plus en plus souvent en chantier sur Paris où finalement je semble être à peu près posé. C’est là que je rencontre la communauté malienne.
En notre capitale, il se trouve qu’en ce moment les anciennes fondations souffrent énormément. Pour faire ce que l’on appelle une « reprise en sous œuvre » il nous faut travailler en sous sol où nous générons des mètres cubes de boue que nous ne pouvons bien évidement pas laisser sur place. Malgré les pompages il faut un nettoyage manuel permanent avec pelle, raclette, balais et parfois marteau piqueur.
Les machines obligatoirement petites sont moins automatisées et demande une grosse manutention humaine. Peu aujourd’hui acceptent de travailler dans ces conditions pénibles et parfois insalubres. Les maliens très pauvres dans leur pays, sans formation professionnelle, souvent illettrés n’hésitent pas à quitter leur village, leur familles, leurs coutumes pour venir « faire de l’intérim » en France, Il partent entre deux et quatre ans puis rentre passer trois ou quatre mois « au bled ». Les entreprises de fondations spéciales les emploient à chaque chantier. Je me suis fait de bons copains parmi ces précieux aides de camp. Ce grand diable de Diallo était souvent avec moi, quand un nouveau arrive il se précipite et lui explique : « tu vois çui là c’est Zanmiçel c’est comme mon papa » malgré la fatigue et les soucis du déracinement il trouve toujours le moyen de faire le clown
Et si je lui dit arrête de faire le pitre 5 minutes il rétorque : « mais z’fais mon boulot et si ze rigole pas bin z’vais pleurer et alors là papa t’es foutu ! » mais malgré les sourires et les petites blagues les regards sont souvent tristes et lointains.
Je me souviens de cet incendie d’immeuble dans le treizième où périrent 17 maliens dont quatorze enfants. Certains de mes copains connaissaient des victimes. Peu de temps après la télé nous montra certains immeubles en ruine où squattaient des clandestins dont le seul lien avec les victimes précédentes était la couleur de peau. Nombre de français en ont déduit et pensent encore que les victimes de l’incendie étaient donc en situation irrégulière et que c’est un squat qui avait brulé alors qu’il s’agissait d’un immeuble associatif. Je reverrais toujours le lendemain du reportage l’air abattu du petitTraouré ce brave garçon aux marques tribales qui lui déformaient le visage me dire en parlant des journalistes: « Zanmiçel pourquoi y z’ont fait ça ? Maintenant dans le métro les gens y croivaient qu’on est nous aussi des sans papiers ! » je n'ai jamais osé lui dire qu’ hélas beaucoup y « croivaient » déjà avant !
En revoyant ces photos je pense à cette vidéo . Il n’est pas besoin de comprendre le créole capverdien de Césaria Evora, prenez trois minutes pour regarder et comparez juste les regards et les mains sur les épaules du clip avec les photos de ce billet….
FLAGRANT NON ?